La recherche sur les CMC
LES CMC (Composites à Matrice Céramique)
La recherche sur les CMC
LES CMC (Composites à Matrice Céramique)
Répartition thématique
I. Vers des CMC innovants, moins chers et plus rapides à produire : élaboration, caractérisation
Dans cette partie, on s’intéressera en priorité à la fabrication des CMC au sens très large, ainsi qu’à la conception de nouveaux matériaux s’appuyant sur la maîtrise des procédés.
On peut scinder le procédé de fabrication d’un CMC en plusieurs grandes étapes en lien avec les différents types de matériaux constituant le CMC, i.e., les fibres, l’interphase, la matrice et éventuellement un revêtement protecteur.
Tout d’abord, il s’agit de fabriquer des fibres et de les assembler pour assurer le renfort du matériau. Les fibres sont de trois grands types : fibres de carbone [Chu16], fibres céramiques non-oxydes (carbures, nitrures, etc…) et les fibres céramiques oxydes. Pour les deux premières, les procédés se basent sur l’utilisation d’un polymère (plus communément dénommé ‘précéramique’ dans le cas des fibres céramiques non-oxydes) qui va subir de nombreux traitements (coagulation, réticulation, pyrolyse, traitements de surface, …) ; pour les troisièmes, le point de départ est plutôt un sol puis un gel.
Réf. : Via17a
La production de fibres de performances et de coût compétitifs est un des objectifs les plus difficiles qui soient pour la communauté française des CMC car les concurrences japonaise et américaine ont solidement établi un oligopole mondial, que seuls les Chinois – et plus modestement les Allemands – se risquent actuellement à défier. C’est pourtant là le cœur des CMC, et il est espéré que la constitution de ce GDR permette de mettre ensemble chercheurs, développeurs et industriels autour de projets innovants dans ce domaine.
Une fois la « préforme » fibreuse constituée, il s’agit de l’enrober avec une matrice. Cette opération peut se réaliser en une ou plusieurs étapes, en ayant recours à des procédés variés :
- Procédés céramiques (slurry-cast) [Hol00]
- Procédés par voie sol-gel [Par03]
- Procédés par voie polymère précéramique [Pir18]
- Procédés par voie métal fondu (MI, RMI) [Mar16]
- Procédés par voie gaz (CVD/CVI) [Dri13,Puy17,Vig16]
La mise en œuvre de ces différents procédés requiert une connaissance approfondie des phénomènes physico-chimiques intervenant lors de l’élaboration ; il y a donc de très nombreux travaux dans cette direction, combinant des études des transformations chimiques ou physico-chimiques (pyrolyse, réactions gaz-solide, liquide-solide, etc …) [Via17b] avec celles des phénomènes de transport (diffusion, perméation, imbibition, …).
Il faut toutefois préciser qu’il est souvent nécessaire d’améliorer les propriétés mécaniques de ces matériaux en insérant entre les fibres et la matrice un troisième constituant, l’interphase. Ce revêtement, généralement constitué d’un matériau lamellaire type graphite ou nitrure de bore, est la plupart du temps préparé via des procédés par voie gaz tels que la CVD [Vig16]. ]. D’autres matériaux céramiques répondant à ces critères, comme les phases MAX (carbures ou nitrures ternaires lamellaires), méritent d’être explorés pour cette fonction.
Enfin, pour rendre les CMC propres à l’emploi, il faut enfin les revêtir de couches protectrices, permettant de mieux résister aux agressions thermiques et environnementales. Ce sont les EBC/TBC (Environmental Barrier Coatings, Thermal Barrier Coatings), pouvant inclure des céramiques ultra-réfractaires (UHTC : Ultra-High temperature Ceramics). Divers procédés de traitement de surface sont envisageables :
- Projections plasma (Plasma-Spray) [Vil17]
- PVD et variantes [Beg13]
- CVD et variantes, dont la pack cementation
- Sol-gel [Bla18]
- Frittage flash [Noz18]
Le choix du procédé et de ses paramètres opérationnels a de profondes conséquences sur la structure et les propriétés des couches protectrices obtenues. Le contrôle des procédés et la recherche de nouvelles formulations plus efficaces (associées à leur procédé) sont des préoccupations qui rassemblent expérimentateurs et modélisateurs en vue de proposer des matériaux aux performances améliorées.
La recherche dans le domaine de la fabrication des CMC au sens large inclut plusieurs directions générales que l’on peut regrouper ainsi :
- Accéder à une meilleure connaissance de la physico-chimie (au sens large) des procédés de fabrication ;
- Disposer de modélisations pertinentes des procédés afin d’en optimiser les paramètres ;
- Mettre en œuvre des procédés originaux, à la fois pour réduire les coûts des matériaux existants et pour fabriquer des matériaux nouveaux
- Enfin, concevoir des matériaux nouveaux en recherchant l’originalité sur le plan chimique ou des procédés. Le potentiel d’industrialisation du procédé doit donc être considéré très tôt dans la démarche « from Lab to Fab ».
Ces quatre points sont évoqués dans la suite de cette section.
I.1 – Une meilleure connaissance de la physico-chimie de la fabrication des CMC
La clé des procédés d’élaboration réside dans la mise en œuvre et la compréhension des divers phénomènes physico-chimiques qui contrôlent la transformation des réactifs initiaux en céramiques qu’elles soient sous forme de fibres, de matrices, ou encore de revêtements.
Dans les procédés céramiques, qui s’appuient sur la mise en suspension d’une poudre sous forme de barbotine, la stabilisation de la poudre et la création d’un fluide de propriétés rhéologiques maîtrisées sont des points très importants, d’autant plus qu’il faut le mettre en forme lorsqu’il s’agit par exemple de l’insérer dans une préforme fibreuse pour former une matrice céramique. Cette spécificité de l’application à l’imprégnation d’une préforme se retrouve aussi dans d’autres voies faisant intervenir des liquides comme précurseurs de matrices céramiques, comme la voie polymère précéramique et la voie sol-gel. L’élaboration des fibres requiert également une connaissance approfondie des propriétés rhéologiques des précurseurs qui sont la plupart du temps des solides fusibles. Ainsi la compréhension des propriétés rhéologiques des réactifs initiaux est une étape-clé dans l’obtention de CMC performants. La mise en commun des compétences et outils de caractérisation mis en œuvre dans ce GDR devrait nous permettre d’accroitre sensiblement nos connaissances sur la rhéologie des précurseurs des différents matériaux constituants un CMC. Un exemple récent est donné à l’IRCER par l’étude des comportements rhéologique et thermique de résines de polysilazane hautement ramifiées [Pir18].
Lors des traitements thermiques ultérieurs, qui permettent la transformation des réactifs initiaux, i.e., précurseurs, en céramiques, de nombreux procédés sont mis en œuvre : déliantage, séchage, transformation des polymères, des gels (réticulation, pyrolyse), etc … Les réactions, les transferts, et les modifications associés sont à identifier précisément si l’on souhaite contrôler la structure et la composition du matériau résultant. Un paramètre important, en particulier dans le cas des fibres et des revêtements, est la rétention de la forme au cours de ces différents procédés. Ceci nécessite notamment une maitrise complète des procédés de réticulation et de traitements thermiques. De nombreuses techniques de caractérisation, complémentaires, peuvent ainsi être mises en œuvre en cours de traitement et post-traitement. Un exemple récent est donné par l’étude du comportement thermique de résines de type polycarbosilane comme précurseurs de matrice SiC dopée par du bore [Sch17]. La transformation de la résine peut être caractérisée et sa cinétique quantifiée [DEl17]
Le passage par les hautes températures dans les systèmes (oxy)carbures, (carbo; oxy)nitrures, borures, oxydes, amène à étudier de près les apparitions et disparitions de phases (eutectiques, péritectiques, composés ternaires, etc …). L’étude de la thermodynamique chimique est donc au cœur de cet axe de recherche. En ce qui concerne la voie gaz, un des outils importants est la détermination de la cinétique des réactions en phase gaz (craquage, pyrolyse des précurseurs) et hétérogènes (réactions de dépôt).
Lors des étapes d’imprégnation d’un liquide, la compétition entre les effets de capillarité et de friction détermine la façon dont un milieu poreux est envahi par le fluide, avec pour conséquence la création éventuelle de pores résiduels. Leur élimination passe donc par l’étude de cette compétition et de son interaction avec l’architecture du milieu poreux [Mar16,Rog15,Rog18]. La situation est encore plus délicate lors de l’imprégnation des réseaux poreux complexes des préformes fibreuses des CMCs par des suspensions de particules céramiques dans les procédés voie liquide. Être capable de distribuer les particules de manière homogène et en quantité suffisante dans chacune des classes de porosité reste un challenge et des études scientifiques sont nécessaires pour bien comprendre, caractériser et modéliser les écoulements de suspensions fortement chargées en particules.
Les études expérimentales sur les processus physico-chimiques à l’œuvre dans les procédés de fabrication des CMC et/ou de leurs constituants sont essentiellement effectuées dans les unités CNRS que sont le LCTS, l’IRCER, l’ICA, le PROMES et dans divers services du CEA : le DMAT de la DAM pour tout type de CMC et le SRMA de la DEN pour les SiC/SiC à vocation nucléaire civil. De nombreux travaux ont été effectués souvent en partenariat entre ces différentes équipes, comme l’atteste la bibliographie. Il est espéré que le GDR leur permette d’augmenter l’aspect collaboratif de ces travaux, et puisse intégrer de nouvelles équipes à ces partenariats, comme par exemple l’équipe EPM/SIMaP, via son expérience dans les métaux fondus.
La voie gaz est elle aussi le siège de compétitions entre les réactions chimiques (craquage, dépôt) et le transfert de masse, essentiellement par diffusion ; la connaissance des cinétiques de ces phénomènes est donc un point essentiel pour arriver à une optimisation en termes de vitesse d’infiltration et de gradient minimal de porosité [Vig16]. Ceci repose sur des études expérimentales d’infiltration dans des milieux poreux modèles variés, et dans des milieux poreux représentatifs des applications (e.g. préformes fibreuses, mousses céramiques, …).
I.2 – Une optimisation des procédés existants grâce à la modélisation
Les procédés d’élaboration des CMC font intervenir des phénomènes d’écoulements en milieu poreux, multiphasiques, éventuellement réactifs, en phase gazeuse ou liquide selon les procédés. Le caractère multi-physique est également flagrant vu la réactivité chimique et les évolutions compositionnelles et structurelles du matériau composite en cours d’élaboration. La simulation numérique est une aide précieuse à la compréhension des phénomènes physiques, à celle de leur couplage, afin de garantir la réalisation d’un matériau remplissant au mieux les exigences en fonctionnement, notamment mécaniques. Parmi celles-ci, figurent une minimisation des défauts de porosité (micro et macro que ce soit en CVI ou en (R)MI), une homogénéité de distribution des charges dispersées (poudres microniques dans le cas slurry-cast), une bonne compatibilité-adhésion fils-fibres / matrice (chargée) [Dug15,Bac17].
Ce thème regroupe donc des équipes qui abordent la modélisation et la simulation d’écoulements de fluides en situation plus ou moins classiques (régime de Knudsen en CVI, fluides chargés, donc à rhéologie complexe en APS), en milieu poreux, ceci à plusieurs échelles de perméabilité (inter et intra-mèches, matrice elle-même si dispersion de charges comme en MI). Différentes échelles de modélisation sont à considérer (macroscopique de type Darcy, Einset, Philips, microscopique type Stokes, suivi lagrangien de particules, …), différents types de mise en mouvement des fluides (forcé, spontané par capillarité, ébullition contrôlée par champ magnétique induit) également.
Des questions théoriques ainsi que leur traitement numérique (résolution d’EDP par méthodes déterministes (EF, VF, etc…) ou statistiques (type Monte-Carlo) restent encore ouvertes : remontée capillaire en géométrie complexe (cf. succession de cols et pores interconnectés)[Bac17] et déformable [Bla17], modèles de réactions chimiques et conséquences sur la perméabilité, les propriétés de mouillage [Rog15], aspects thermomécaniques, raccordement d’échelles, modèles d’homogénéisation déterministes ou statistiques pour les évaluations de propriétés thermo-électromagnétiques. Ce sont avant tout les couplages originaux entre phénomènes qui apportent ici des défis en termes de modélisation.
La synergie entre des équipes de culture « milieu poreux » (I2M), « matériaux céramiques » (LCTS , IRCER/Axe 3), « procédés composites » (ICA, LGF, LCTS) ,/ « procédés assistés » (SIMAP) est un gage de progrès significatifs dans la mise au point de modèles couplés traduisant fidèlement la réalité et donc ouvrant la voie à une optimisation des procédés et donc des matériaux.
I.3 – Une mise en œuvre de procédés originaux
Afin de dépasser les limites actuelles en termes de matériaux et procédés, une direction importante de recherche est la prospection des potentialités de procédés en rupture avec les techniques déjà éprouvées de synthèse. Des études sont en cours à la fois sur des variantes des procédés actuels, ou bien sur des procédés en rupture totale (que ce soit pour l’infiltration, la croissance d’interphase ou le dépôt de revêtements protecteurs).
- Variantes de la CVD/CVI :
- à gradient thermique (chauffage RF ou MW ; caléfaction, etc …) [Ser13]
- à forte pression (C-SCF-I) [Hen17]
- réactive : R-CVI [Led16] ou CVR, pack cementation
- pulsée : P-CVI [Jac13]
- à injection directe de liquide (DLI-MOCVD) [Boi13a,b,Mic18]
- ALD (Atomic Layer Deposition, technique offrant les meilleures qualités de recouvrement grâce à la croissance couche par couche) [Liu04,Gak18]
- Méthodes électrochimiques (électrophorèse, électrolyse en sels fondus, …)
- SHS et variantes [Tai16] ; réactions gaz-solide [Rog15,Mai17].
- Méthodes originales de dépôt/modification de couches protectrices [Ver14].
- Utilisation des micro-ondes pour le chauffage [Ham15].
- Techniques de fabrication additive, soustractive …
Le LGF s’investit dans le frittage sous chauffage micro-ondes, tant sur le plan expérimental que de la modélisation ; le potentiel de cette méthode de chauffage dans les procédés intéressant soit les CMC en volume, soit leurs couches protectrices, est très grand et commence à peine à être exploité.
Ce thème représente donc une direction très active de recherche, car elle est une très importante source d’innovation. Nombreuses sont les équipes du GDR à explorer leurs possibilités ; la collaboration entre diverses compétences (expérimentation, modélisation, caractérisation, …) et donc entre diverses équipes du GDR sera un facteur d’accélération des développements.
I.4 – Des matériaux nouveaux par conception
Deux directions principales peuvent être dégagées dans ce thème. D’une part, on recherche la combinaison de procédés existants (cf. I.1) ou innovants (cf. I.3) pour obtenir des matériaux multifonctions à matrice complexe. L’exemple ci-dessous est une combinaison de procédés bas coût par imprégnation/pyrolyse (PIP) de résines précéramiques, d’insertion de poudres et réaction gaz-solide permettant d’obtenir un gonflement de la matrice et donc une réduction optimale de la porosité résiduelle [Mai14]. Les possibilités de combinaisons sont très importantes, et trouver des optima en termes de qualité du produit final est un travail de très longue haleine, qui ne peut pas se baser sur une simple approche « essais et erreurs », mais au contraire qui doit faire intervenir une compréhension profonde de la physico-chimie de chaque étape (cf. I.1).
D’autre part, la recherche de nouveaux constituants s’appuie sur l’évaluation de nouveaux composés (éventuellement hypothétiques) à l’échelle atomique puis moléculaire. Par exemple, le projet PyroMaN a permis de développer une méthode originale de modélisation basée sur des images pour décrire la structure de matériaux carbonés graphitables de type pyrocarbone. L’aspect « matériau virtuel » présente un très grand potentiel pour la conception de nanostructures variées.
Ces modélisations atomistiques peuvent également servir à évaluer la nature des interfaces entre divers matériaux. Par exemple, par dynamique moléculaire, des modèles d’interfaces entre des cristaux d’AlN et du carbone désordonné ont montré de fortes différences suivant l’orientation des surfaces des nitrures, avec des conséquences importantes sur l’adhésion [Mar14].