Vers des CMC davantage certifiés et intégrés
LES CMC (Composites à Matrice Céramique)
La recherche sur les CMC
LES CMC (Composites à Matrice Céramique)
Répartition thématique
II. Vers des CMC davantage certifiés et intégrés
Le deuxième grand volet de l’activité de recherche sur les CMC traite de la connaissance de leur structure et de leur comportement, avec pour corollaire la production de modèles permettant l’optimisation et le design et l’acquisition de savoir sur l’intégration de pièces en CMC dans des systèmes. En effet, les applications visées étant de très haute valeur ajoutée (disques de frein, col de tuyère de booster spatial, …) et dans des dispositifs qui se doivent d’être virtuellement infaillibles (parois de réacteurs nucléaires tolérants aux accidents, gaines de combustible nucléaire, turbines aéronautiques civiles, etc …), il est indispensable de fournir non seulement le matériau mais aussi des garanties très fortes sur son domaine d’application, sachant que des marges de sécurité trop importantes sont pénalisantes sur le plan économique.
Ainsi, avoir une connaissance fine de la structure et du comportement à toutes échelles est donc un enjeu pratique qui débouche sur de nombreuses questions de recherche. Nous aborderons dans la suite quelques sujets en relation avec le comportement thermomécanique et les mécanismes d’endommagement qui le gouvernent à différentes échelles (macro et/ou micro) ainsi que leurs évolutions en fonction de la nature de l’environnement plus ou moins sévère (hautes températures, oxydation). Au-delà des questions expérimentales, la modélisation de ces mécanismes et de ces comportements macroscopiques est un aspect important pour l’utilisation de ces matériaux dans des structures soumises à des chargements thermomécaniques complexes, dans des environnements souvent sévères, et leur insertion dans des systèmes mécaniques pose de nouvelles problématiques liées à la mise en forme des pièces (usinage, assemblage) ou à leur liaison avec d’autres systèmes (brasage).

Système de freinage d′une voiture.
II.1 – Une connaissance renforcée de la structure multi-échelle des CMC
Que ce soit pour l’optimisation des paramètres expérimentaux des procédés mis en œuvre, pour comprendre la nature (structure, microtexture, morphologie, composition chimique) des phases et interphases au sein des constituants du composites et des interfaces fibre/matrice sur les propriétés du CMC, pour un contrôle d’un traitement de surface, répondre à ces problématiques visant à améliorer ou optimiser les caractéristiques et propriétés du CMC nécessite la mise en œuvre, de manière systématique, d’un ensemble de techniques de caractérisation.
A titre d’exemple, la spectrométrie de diffusion Raman permet de sonder la structure des CMC, toutes les phases les composant présentant de fortes susceptibilités Raman, et de plus les échelles spatiales caractéristiques des CMC se prêtent particulièrement bien aux mesures d’imagerie Raman. En particulier, l’imagerie Raman permet de mettre en évidence les différentes phases en présence, sur des coupes transverses ou longitudinales, et les modifications ou altérations, en particulier aux interfaces (résolution spatiale micronique). Ceci peut se faire sur échantillons bruts d’élaboration, ou après tests environnementaux (thermique, chimique, mécanique). Par exemple (fig. 2.II.1) il est possible de cartographier la surface d’un échantillon et de faire une analyse en composantes principales des spectres Raman obtenus en chaque point de la carte, ce qui permet de remonter à la distribution des phases et des défauts dans le matériau [Mas17].
![Fig. 2.II.1 – Cartographie de 4 composantes principales du spectre Raman d’un oxyde d’uranium polycristallin [Mas17].](https://gdr-cmc2.cnrs.fr/wp-content/uploads/2019/12/Cartographie-de-4-composantes-principales-du-spectre-Raman-d’un-oxyde-d’uranium-polycristallin.jpg)
Les carbones ont une sensibilité particulièrement exacerbée au Raman [Mal14]. On peut détecter avec précision leur apparition lors de la pyrolyse d’une résine précéramique menant à un matériau Si-O-C [Hou17] (figure 2.II.2).
![Fig. 2.II.2 - Détection et imagerie Raman de nanocarbone apparaissant lors de la pyrolyse de polymères précurseurs de matériaux Si-O-C [Hou17]. L’utilisation de deux agents réticulants différents entraîne une nette différence sur l’organisation du matériau final.](https://gdr-cmc2.cnrs.fr/wp-content/uploads/2019/12/Détection-et-imagerie-Raman-de-nanocarbone-.jpg)
Les pyrocarbones, matériaux de matrices de composites C/C et d’interphase de composites SiC/SiC, déposés par CVD/CVI, peuvent être classifiés facilement grâce à cette technique et leur structure peut être mise en relation avec les conditions d’élaboration par CVD [Vig15].
Les techniques de microscopie, optique, MEB, et en particulier de HR-TEM, avec les techniques d’analyses chimiques associées EDS-MEB ou EDS-MET et microsonde X de Castaing, sont de grand intérêt pour l’analyse des phases, interphases et interfaces au sein des CMC, par le couplage de caractérisations multi-échelles de la microtexture, structure et analyse chimique fine. A titre d’exemple, les images MET et les diagrammes de diffraction électronique de la figure 2.II.3 illustrent 1’hétérogénéité de structure et de composition chimique d’un dépôt SiC élaboré par caléfaction : SiC-b cristallisé aciculaire (encadré bleu), nano-domaines cristallisés (encadré vert), présence de carbone désordonné (encadré orange) [Ser12].
![Figure 2.II.3. Images MET et diagrammes de diffraction électronique d’un dépôt hétérogène SiC élaboré par caléfaction (lame mince FIB) [Ser12].](https://gdr-cmc2.cnrs.fr/wp-content/uploads/2019/12/Images-MET-et-diagrammes-de-diffraction-électronique-d’un-dépôt-hétérogène-SiC.jpg)
Le développement de fibres céramiques innovantes nécessite le déploiement de méthodes de caractérisations microstructurales dédiées à ces objets de petits diamètres (< ~10 µm ) afin de déterminer leurs domaines de stabilité microstructurale et les mécanismes locaux de leur endommagement sous chargement thermomécanique et environnemental. L’exemple ci-dessous, issu du CDM [Ber11], illustre le suivi par microscopie électronique en transmission de l’évolution microstructurale de fibres oxyde et SiC après fluage à haute température (figure 2.II.4). Dans les premières, la présence de dopants a favorisé une croissance orientée des grains, allongeant ainsi les chemins de diffusion en fluage, alors que dans les secondes, les dopants ont accéléré la dégradation du cœur de la fibre. Ces méthodes locales d’investigation microstructurale sont également mises à profit pour prédire l’évolution des interphases et interfaces régissant le couplage fibre/matrice.
![Fig. 2.II.4 - Evolution microstructurale de fibres céramiques après essais de fluage sur fibre unitaire, observée par Microscopie Electronique à Transmission [Ber11].](https://gdr-cmc2.cnrs.fr/wp-content/uploads/2019/12/Evolution-microstructurale-de-fibres-céramiques-après-essais-de-fluage-sur-fibre-unitaire.jpg)
Concernant les pyrocarbones, on a développé des approches de traitement d’images TEM [Bon16] pour quantifier leur structure [DaC15] (fig. 2.II.5) et la mettre en relation avec les propriétés mécaniques des composites les contenant [Bue14,Fel17].
![Figure 2.II.5 – Analyse d’orientations de l’anisotropie dans des clichés HRTEM de quatre carbones différents : Laminaire Régénéré (ReL), Laminaire Rugueux (RL), Laminaire Lisse (SL) et fibre de carbone ex-PAN. A gauche, cartographies d’orientations. A droite, graphiques polaires d’angles de corrélation spatiale [DaC15].](https://gdr-cmc2.cnrs.fr/wp-content/uploads/2019/12/Analyse-d’orientations-de-l’anisotropie-dans-des-clichés-HRTEM-de-quatre-carbones-différents.jpg)
L’utilisation pour la caractérisation des CMC de la microsonde de Castaing permet une analyse quantitative des éléments chimiques présents dans le matériau sur une profondeur d‘environ 500 nm. Des cartographies chimiques et des profils d’évolution de concentrations peuvent également être réalisés. La figure 2.II.6 est un exemple illustrant la variation de composition chimique d’un dépôt de SiC élaboré par caléfaction [Ser13].
![Fig. 2.II.6.- Image MEB et cartographies en microsonde de Castaing d’un dépôt de SiC. a) cartographie du carbone, b) du silicium, c) du chlore, d) de l’oxygène [Ser13].](https://gdr-cmc2.cnrs.fr/wp-content/uploads/2019/12/Image-MEB-et-cartographies-en-microsonde-de-Castaing-d’un-dépôt-de-SiC.jpg)
La diffraction de rayons X (DRX), la diffusion des X aux petits angles (SAXS) [Oul18]et des neutrons sont des techniques qui viennent compléter les informations [Wei12] concernant la structure et la morphologie des hétérogénéités pouvant être présente au sein de la fibre ou de la matrice.
L’interaction élastique des rayons X avec la matière va permette de quantifier l’ordre atomique (DRX) et l’organisation texturale par l’étude des fluctuations de densités électroniques à l’échelle nanoscopique (SAXS). L’association dans un même équipement de ces deux techniques permet d’étudier statistiquement, sur le volume irradié, la distribution des atomes dans le matériau, sur des échelles comprises entre 0,2 et 80 nm. Pour un CMC, cette technique est pertinente pour obtenir les paramètres structuraux moyens (<Lc>, <La>, <d002>) dans la matrice et dans le renfort, pour mettre en évidence une éventuelle orientation préférentielle des fibres et déterminer les fractions volumiques des différentes phases et la longueur de l’interface. A titre d’exemple, la figure 2.II.7a illustre l’analyse en DRX de la réflexion 002 pour chaque orientation des fibres de carbone par rapport au faisceau RX , ce qui permet d’avoir des informations sur la distance inter-feuillet d002 et sur l’orientation préférentielle des feuillets aromatiques au sein des fibres de carbone. Les images SAXS de la figure 2.II.7b illustrent l’évolution de la tache de la diffusion centrale en fonction du traitement thermique [Oul18].
![Fig. 2.II.7 - Diffraction des rayons X. a) Analyse WAXS de la réflexion 002 et de l’orientation préférentielle des feuillets aromatiques parallèlement à l’axe de la fibre. b) Images SAXS des fibres de carbone après traitement thermique de 1900°C et 2400°C [Oul18].](https://gdr-cmc2.cnrs.fr/wp-content/uploads/2019/12/Diffraction-des-rayons-X.jpg)
On peut aussi signaler la RMN du solide qui est également un outil très puissant pour la caractérisation de matériaux cristallins comme amorphes, avec une sélectivité atomique de l’échelle moléculaire [Mas13] à l’échelle macroscopique [Yon17]. Elle permet de caractériser la structure locale et de quantifier les espèces ou les constituants de systèmes complexes ; on prendra pour exemple les travaux effectués sur des dépôts CVD de Si-B-C [Pal13] au LCTS ou la caractérisation de matériaux Al-O-H-C [Bag17] au CEMHTI en collaboration avec le CIRIMAT.
Le GDR sera donc l’occasion de faire progresser les techniques connues (dont nous n’avons pas fait de liste exhaustive ici) en les appliquant à de nouveaux types de matériaux et en améliorant leur degré d’interprétation par des analyses plus poussées des signaux et images obtenus, mais aussi d’envisager l’utilisation de techniques encore peu répandues dans le domaine afin de jauger de leur pertinence (originalité, complémentarité, …).
II.2 – Une meilleure connaissance du comportement de ces CMC sous sollicitations diverses en milieux agressifs
Compte tenu de l’architecture particulière de ces matériaux composites et de la nature de leurs constituants (fibres et matrices céramiques oxyde ou non), il est fondamental d’étudier le comportement mécanique et l’endommagement de ces matériaux en tenant compte des effets induits par les environnements souvent agressifs dans lesquels ils sont utilisés. Il est proposé de scinder cette activité en deux parties, une dédiée aux tests mécaniques et thermocinétiques et l’autre aux tests environnementaux.
II.2a – Tests mécaniques & thermocinétiques
Le comportement mécanique de ces composites est caractérisé par une forte non linéarité due à la bonne tolérance à l’endommagement de ces matériaux. En effet bien que les constituants soient en céramique, leur combinaison dans le matériau composite et leurs interactions permettent de générer au sein du composite un endommagement diffus (multi-fissuration de la matrice, ruptures multiples des fibres, décohésions locales des interfaces) rendant le matériau non fragile, capable d’atteindre des déformations de l’ordre d’1%, comme illustré par la courbe de traction cyclique ci-dessous.
![Fig. 2.II.8 - Exemple de comportement mécanique en traction à température ambiante d’un CMC (composite SiC/[Si-B-C]) [Rac15]](https://gdr-cmc2.cnrs.fr/wp-content/uploads/2019/12/Exemple-de-comportement-mécanique-en-traction-.jpg)
Compte tenu de ces originalités, le comportement thermomécanique de ces matériaux doit être étudié pour des chargements quasi-statiques tels que la traction monotone, mais aussi pour des chargements de longues ou très longues durées (plusieurs centaines d’heures) en fatigue et/ou en fluage en fonction de la température [Dus16]. Cette démarche est nécessaire pour déterminer les performances mécaniques et la durabilité de ces matériaux, et pour étudier de façon approfondie les mécanismes d’endommagements microstructuraux associés.
Au-delà des essais extensométrés classiques mais impératifs, il est indispensable de mettre en place des approches multi-instrumentées combinant mesures mécaniques et techniques spécifiques de caractérisation de l’endommagement [Fan14].
La compréhension du comportement des CMC lors de sollicitations mécaniques et thermo cinétiques en milieu agressif nécessite le développement d’essais complexes spécifiques et de leur instrumentation associée. La caractérisation et l’observation des mécanismes et des cinétiques de dégradation à différentes échelles doivent permettre de mieux modéliser le comportement des CMC lors de leur mise en œuvre et ainsi pouvoir les optimiser. Pour cela, les partenaires du GDR ont développé des essais et des outils de caractérisation spécifiques à différentes échelles. A l’échelle d’une micro-éprouvette, des essais in situ sous micro-tomographie RX ont par exemple permis à une équipe du laboratoire Navier de caractériser les mécanismes d’endommagement et de déformation au sein de tubes SiC/SiC lors d’une traction uniaxiale par analyse et corrélation d’images volumiques (Figure 2.II.9a) et ainsi amélioré la compréhension du rôle de l’architecture du matériau sur son endommagement [Che17a,Che17b]. Encore, des essais in situ de traction à 1250°C sur des micro-barreaux SiC/SiC ont permis à une équipe du LCTS de corréler les concentrations de contraintes liées à l’architecture du matériau avec les premières fissures observées par microtomographie [Maz17] ainsi qu’à suivre les phénomènes d’oxydation/cicatrisation [Ber17].
Des essais de sollicitation à fort gradient thermique par laser de puissance ont également été développés par une équipe de l’ONERA à l’échelle d’une éprouvette dont les dimensions sont représentatives des applications visées. Une instrumentation spécifique (cf Figure 2.II.9b) par caméra en lumière visible et infra-rouge a été mise en œuvre et des algorithmes innovants développés par une équipe du LMT ont permis de mesurer quantitativement les champs thermo-mécaniques lors de ces essais.
Compte tenu du faible niveau de déformation à rupture des CMC et de la complexité des environnements d’essais, des techniques de caractérisation fines des propriétés élastiques et des microfissurations ont également été développées par une équipe du laboratoire I2M [Aud94] (cf. Figure 2.II.9c). La caractérisation ultrasonore sous charge couple la mesure classique de la courbe contrainte-déformation et celles des propriétés d’élasticité tridimensionnelles. La variation du tenseur de rigidité autorise l’identification des mécanismes et des réseaux de fissuration. La fissuration transverse perpendiculaire à la direction de chargement s’accompagne de décohésion colinéaire à cette direction. En partitionnant la déformation totale en une part « élastique endommagée » et une part « anélastique », le mécanisme d’ouverture des fissures peut être quantifié, aussi que le frottement aux interfaces et le caractère unilatéral des fissures ; « actives » ou « passives ». La comparaison des mesures ultrasonores aux prédictions multi-échelle donne accès aux orientations, aux dimensions des fissures et aux cinétiques d’endommagement. Cette confrontation conduit également à l’identification des longueurs de décohésion particulièrement difficiles à mesurer expérimentalement [Gri13].
![Figure 2.II.9 : (a) Fissures détectées dans une portion de tube SiC/SiC lors d’un essai de traction in situ [Che17a,Che17b], (b) Montage expérimental avec laser de puissance et système multi-caméras pour l’analyse d’un composite SiC/SiC soumis à de très hautes températures, (c) Eprouvette CMC dans un banc de caractérisation ultrasonore sous charge pour une mesure directe des Cij [Aud94,Gri13].](https://gdr-cmc2.cnrs.fr/wp-content/uploads/2019/12/Fissures-détectées-dans-une-portion-de-tube-SiC.jpg)
La comparaison des mesures ultra-sonores (Figure 2.II.9c) aux modélisations multi-échelles donne ainsi accès aux orientations, ouvertures et dimensions des fissures considérées. L’émission acoustique (EA) est aussi un moyen de suivre, localiser et analyser in-situ les dommages. L’INSA de Lyon développe depuis plusieurs années des méthodes d’analyse de l’EA adaptés aux CMC et à leurs durées de vies (analyse des activités globales [God16] et mise en place d’algorithmes de classifications supervisées ou non en vue de discriminer les sources [Mom12]). Enfin, des essais de fatigue thermomécanique de pièces en CMC dans un écoulement gazeux et humide ont été développés par une équipe du laboratoire PPRIME. Ces essais multi-instrumentés (caméra IR, pyroréflectomètre, EA) constituent un moyen intermédiaire entre les essais classiques de laboratoire et les essais moteurs et permettent en particulier de mieux comprendre le rôle de l’environnement dans les mécanismes d’endommagement des CMC.
L’équipe DuMAS de l’I2M propose également une grande quantité de moyens d’essai variés en type de sollicitation (statique, cyclique, impact, vibrations, …), avec des moyens performants de diagnostic (caméra ultra-rapide, corrélation d’images, etc …). Parmi eux, la thermographie IR, développée avec l’équipe TREFLE du même institut, s’avère être un excellent outil de caractérisation des CMC, avec plusieurs utilisations. On peut bien évidemment mesurer la diffusivité thermique par des méthodes dérivées de la méthode flash – ce qui peut parfois s’avérer acrobatique, comme dans le cas des tubes de SiC/SiC [Duq16] – ou bien pour mettre en évidence la progression de l’endommagement dans un matériau en cours de test mécanique [ElY15].
II.2b – Tests environnementaux
Les composites à matrice céramique sont utilisés dans des environnements variés que l’on peut qualifier d’extrêmes : très haute température, milieu oxydant (O2, H2O, CO2, …), conditions de pressions variables voire sous contrainte mécanique et /ou sous irradiation. Ces composites doivent être évalués et étudiés en mettant en œuvre des tests environnementaux permettant de reproduire des conditions les plus voisines possibles de l’application visée. Cependant, les techniques « traditionnelles » telles que l’utilisation de fours électriques de laboratoire [BeC17] trouvent vite leurs limites. En effet, ils ne permettent pas d’obtenir des montées en température rapides ni d’atteindre les conditions d’utilisation de ces composites (températures, atmosphère oxydante et corrosive, écoulement des gaz), ni de reproduire des sollicitations complexes mettant en jeux par exemple de l’endommagement par friction ou par des mécanismes couplés : thermo-chimio-mécanique.
En conséquence, les tests environnementaux permettant d’atteindre par exemple des hauts flux cyclés doivent être mis en œuvre. Sans être exhaustif, on citera des dispositifs expérimentaux tels que : les torches à plasma, les fours à induction, les plasmatrons, les torches oxyacétyléniques, les fours à image d’arcs et les fours solaires associés ou non à des sources plasma. A titre d’exemple, la figure 2.II.10a montre un four de corrosion à images d’arcs [Bri12] et la figure 2.II.10b le moyen d’oxydation à très haute température MESOX couplé à un four solaire qui permet d’atteindre 2500 K en quelques secondes dans une atmosphère plasma ou standard à pression contrôlée [Bal15].
![Fig. 2.II.10. a) Moyens d’essais à hauts flux thermiques radiatifs. a) Photographie d’un four de corrosion à images d’arcs [Bri12]. b) Photographie du moyen MESOX au foyer du four solaire de 6 kW d’Odeillo [Bal15]](https://gdr-cmc2.cnrs.fr/wp-content/uploads/2019/12/Moyens-d’essais-à-hauts-flux-thermiques-radiatifs.jpg)
Ces tests environnementaux sont pilotés par à une instrumentation permettant un contrôle précis des conditions opératoires (pyrométrie/ thermométrie, dosage et analyse des gaz) [Aud18]. Des diagnostics in-situ viennent compléter, si nécessaire, ces moyens expérimentaux (captures vidéo, suivi de mesures électriques, interférométrie pour mesurer des cinétiques de croissance de couches formées, spectrométrie de masse, …).
La connaissance fine des conditions expérimentales réelles des expériences (température, cinétique des réactions, écoulements réactifs, les phénomènes de transport en phases gazeuses, …) est également rendue possible grâce aux outils de modélisation numérique. La confrontation entre les données expérimentales et la modélisation permet de valider les modèles et de quantifier de manière précise les paramètres clés des expériences réalisées.
Les analyses structurales et microstructurales des échantillons après oxydation/corrosion à l’aide de techniques classiques MEB/EDX, RDX ou plus spécifiques (Raman, analyse de surface, profilométrie 3D) et un examen détaillé des interfaces permettent de décrire les évolutions des matériaux composites en lien avec leur composition et leur microstructure et de proposer des mécanismes de corrosion, d’oxydation (interne et externe), et plus généralement d’endommagement associant chimie et mécanique. La figure 2.II.11 présente la microstructure d’un composite à matrice céramique ultra réfractaire après un essai sous torche oxyacétylénique de 160s.
![Fig.2.II.11 - Microstructure d’un composite à matrice céramique ultra réfractaire après un essai sous torche oxyacétylénique [Lie17,Lie18].](https://gdr-cmc2.cnrs.fr/wp-content/uploads/2019/12/Microstructure-d’un-composite-à-matrice-céramique-.jpg)
Le banc MAATRE au sein de l’Institut PPRIME [Mau12,Mau14,Mau17] permet de solliciter mécaniquement les matériaux dans un écoulement gazeux en reproduisant des chargements thermomécaniques complexes proches des conditions rencontrées dans les parties chaudes des turbomachines aéronautiques. Il permet de reproduire des conditions extrêmes de températures (T > 1600 °C) et de cinétiques thermiques (vitesses jusqu’à 300 °C/s) lors d’essais mécaniques de type fluage, fatigue oligocyclique, fatigue thermomécanique, sous atmosphère de gaz brûlés et sous gradients thermiques en y associant une métrologie dédiée (caméra IR, pyroréflectromètre, pyromètre bi-chromatique). Ce banc est un moyen d’essai intermédiaire entre les essais classiques de laboratoire et les essais moteurs réalisés en milieu industriel ayant permis de tester des superalliage base Ni et des CMC, avec et sans revêtement barrière thermique/environnementale.
![Fig. 2.II.12 - Schéma du banc MAATRE de l’institut PPRIME [Mau12,Mau14,Mau17].](https://gdr-cmc2.cnrs.fr/wp-content/uploads/2019/12/Schéma-du-banc-MAATRE-de-l’institut-PPRIME-.jpg)
Des tests d’adhésion de revêtements protecteurs par choc laser sont disponibles au CDM. Ces tests rapides, pratiques et quantitatifs sont excellents pour comparer entre elles diverses barrières thermiques [Beg13].
Il est par ailleurs possible d’envisager des mesures optiques in situ (en température et/ou sous atmosphère corrosive), sur échantillons massifs, mais où l’accès optique sera limité à la surface extérieure de l’échantillon. On peut mesurer des propriétés optiques (réflectivité et absorptivité spectrales dans l’IR) [Bro15] et faire de la spectroscopie Raman. L’ensemble des équipements spectroscopiques nécessaires est disponible au CEMHTI (3 spectromètres imageurs, fours 1500°C, 8 longueurs d’onde laser allant de l’infrarouge 785nm à l’UV 355nm). Des adaptations spécifiques (atmosphère) seront cependant nécessaires pour les mesures in situ, par exemple l’utilisation du fenêtrage fréquentiel pour obtenir une séparation signal/bruit satisfaisante dans des situations d’émission lumineuse ou de fluorescence intenses [Fot18].
Pour compléter le panorama des tests sous sollicitations couplées (contraintes, température, atmosphère), il importe d’étudier les situations de frottement de ces matériaux.
En effet, une des applications les plus importantes des CMC est la friction des composites C/C; cette application entraîne un ensemble de techniques de caractérisation très spécifiques, liées à la tribologie, voire à la tribochimie, car il a été démontré que la présence d’atmosphère (oxygène, vapeur d’eau, …) a une influence déterminante sur la friction et l’usure des composites C/C [Rie13]. L’IS2M dispose d’une expertise unique dans ce domaine et souhaite la mettre au service de projets de recherche communs.
Par ailleurs, les CMC de type carbure sont de plus en plus envisagés comme matériaux alternatifs aux super-alliages pour les applications aéronautiques en particulier pour les assemblages aube/disque hautes températures des turboréacteurs. Les contacts aube/disque sont soumis à des sollicitations de fretting usure (usure induite par micro déplacements alternés) et des sollicitations de fretting fatigue qui favorisent l’amorçage des fissures et réduisent considérablement la durée de vie en fissuration. De nombreux travaux ont permis de formaliser ces phénomènes pour des matériaux métalliques [Mar11,Fer13,Fou14].Par contre, il en existe très peu pour les matériaux composites et en particulier pour les matériaux CMC [Via16,Via17c], Aussi, des recherches sur le comportement en fretting usure et fretting fatigue de ces matériaux à hautes températures apparaissent essentielles pour le développement e ces matériaux pour des applications de turbomachines. Outre les cinétiques d’usure et de fissuration, il apparait intéressant d’étudier la réponse de ces matériaux pour des contacts homogènes (CMC/CMC) mais aussi pour des contacts hybrides CMC/Métaux. D’autre part, différentes stratégies axées sur l’application de traitements de surface doivent être envisagées. Enfin, pour mieux comprendre la réponse dynamique de ces interfaces et prédire leur comportement vibratoire, il apparait important de quantifier le comportement rhéologique des lits de débris (3èmes corps) générés par ces sollicitations de fretting usure [Arn18]. Le LTDS dispose de tous les équipements (essais de fretting usure et fretting fatigue jusqu’à 800°C, essai de micro pilier à haute température, etc) pour mettre en place ces recherches. Associé à d’autres laboratoires tels que le LCTS, le CDM, le LMT, etc …, ces travaux expérimentaux pourront être expertisés et modélisés de façon à mieux formaliser la réponse des CMC vis-à-vis des sollicitations de fretting usure et fretting fatigue à hautes températures.

En résumé, l’étude de la corrosion/oxydation/dégradation des composites à matrice céramique dans les conditions réelles de sollicitations est un sujet difficile à appréhender qui nécessite de mettre en œuvre des tests environnementaux complexes associés à une métrologie pointue permettant de réaliser des expériences adaptées.
L’importance des données expérimentales pour décrire les phénomènes mis en jeux, dont certains sont en compétition et en prenant en compte des effets de couplage est cruciale. La connaissance fine de ces données et de leur précision reste un axe d’amélioration. On perçoit ici l’importance des mesures in situ pour alimenter la modélisation. Le GDR « CMC » apportera une contribution majeure à ce challenge.
II.3 – Des modèles performants pour décrire le comportement des CMC
Comme mentionné en introduction de ce document, les CMC couvrent une gamme de matériaux très large ayant un point commun : travailler en ambiance très sévère. Cette ambiance exacerbe les problématiques rencontrées à la marge sur les composites à matrice organique et fait la spécificité des CMC. Leur structure est le plus souvent travaillée à plusieurs échelles (cf. figure 2.II.13) afin de tirer parti de l’ensemble des mécanismes de dissipation/cicatrisation possibles (exemple dans [Lam99]), ce qui mène au développement de nombreuses voies d’élaboration.

Dans ce contexte, les modèles peuvent avoir de nombreux objectifs allant de l’aide à la compréhension au dimensionnement de pièces. Plusieurs points de vue peuvent être développés, ils sont par exemple relatifs :
- à l’espace décrivant de l’échelle de la microstructure des fibres à l’échelle de la pièce ;
- au temps décrivant de l’élaboration à la durée de vie des pièces.
Concernant la modélisation du comportement au sens large des CMC, la difficulté réside souvent dans la prise en compte de mécanismes intervenant à des échelles très différentes et représentant des « physiques » variées. La fédération d’une communauté large regroupant l’ensemble des acteurs du domaine est en cela indispensable. Un exemple de réalisation d’intégration peut être trouvée dans [Lad14]. De manière générale, il s’agit de comprendre et de décrire comment des mécanismes élémentaires divers interagissent et sont filtrés à travers les échelles pour mener à des propriétés macroscopiques. Le modèle doit jouer ici un rôle central, celui de langage commun permettant aux différentes communautés de formaliser leurs connaissances.
Les thèmes clés autour de la modélisation de comportement sont :
II.4 – Une meilleure intégration des pièces CMC dans les systèmes
L’intégration des pièces CMC dans les systèmes, comme par exemple les moteurs aéronautiques [Bou14], passe par des règles de conception spécifiques que l’on doit être en mesure de justifier pour la certification. Ces pièces soumises à de forts gradients et de forts niveaux de température et fortement sollicitées mécaniquement doivent aussi être dimensionnées en fonction de leur environnement (moteur) proche c’est-à-dire en fonction des connections aux autres pièces de structures dans les moteurs (liaison Inconel/CMC fig. 2.II.14). Non seulement les règles d’assemblages (par boulonnage, collage, soudage, etc…) – souvent issues des composites à matrice organique (CMO), voire des métaux – doivent être validées pour application aux CMC, au prix d’une redéfinition qui prend en compte la spécificité de ces matériaux, c’est-à-dire leur mode de fabrication, leur mode d’endommagement et de rupture. L’intégration des pièces CMC passe aussi par la gestion du tolérancement et donc de l’usinage potentiel.

Trois points sont donc à traiter : l’usinage, la liaison et l’assemblage.
Les usinages les plus importants sont le surfaçage et le perçage. Bien que beaucoup d’études existent sur l’usinage et particulièrement le perçage des composites à matrice organique, peu de travaux se sont focalisés sur l’usinage des CMC définissant la fonction de la tolérance des surfaces créées, les types d’outils, leur forme et leur matériau, couplés aux conditions d’usinage nécessaires. L’enjeu est important quand on sait que la qualité des surfaces créées peut fortement influencer la tenue mécanique en service. Chaque type d’usinage entrainant des modes d’endommagement spécifique, la qualification des méthodes et outils sera spécifique ainsi que l’identification des endommagements en résultant.
![Fig. 2.II.15 - Visualisation de défauts (écaillage) en entrée (gauche) et en sortie (droite) de perçage par outil coupant sur CMC Oxyde-Oxyde tissé 2D [Rah08]](https://gdr-cmc2.cnrs.fr/wp-content/uploads/2019/12/Visualisation-de-défauts-écaillage-en-entrée-gauche-et-en-sortie-droite-.jpg)
- les conditions d’apparition des défauts et l’influence de la nature pré-fissurée de la matrice initiale [Rah08]
- les interactions défauts / tenue mécanique, le lien avec le tolérancement et/ou l’ajustement [Sol17, Sol16]
- des critères de qualité en lien avec les interactions surface/défaut [Cat15].
Certains procédés thermochimiques des CMC, comme la fusion locale, la brasure [Jac14,LeP15] voire le collage [Par18] sont utilisés lors des liaisons. L’objectif est ici de qualifier la tenue de ces types d’assemblages dans une première phase par essais sur éprouvette représentative en changeant les modes de fabrication et en identifiant les modes de ruines aux interfaces (Adhésion/Cohésion). Ce type de procédés de liaison appliqués aux CMC entraine des modes de dimensionnement spécifique, notamment par la détermination du comportement à haute température des interfaces/interphases, constituant une thématique forte autour de ce sujet.
Les autres techniques d’assemblage sont purement mécaniques : boulonnage, rivetage, etc …. La majorité des études expérimentales s’attachent à identifier les mécanismes d’endommagement dans les assemblages par boulonnage à partir des méthodologies des études sur les CMO. On s’intéresse aux modes de ruines et à leur identification (fig. 2.II.16), sous sollicitations statique [Bro17], dynamique [Lac15] et de fatigue [Sol16]. On cherche à comprendre les modes d’endommagement et de rupture : l’objectif est d’identifier ces modes et de déterminer les critères de prédimensionnement permettant d’établir des règles de conception et d’assemblage des pièces CMC en vue de leur meilleure intégration.
![Fig. 2.II.16 - Identification des modes d’endommagement en matage pur sur CMC Ox-Ox [Bro17]](https://gdr-cmc2.cnrs.fr/wp-content/uploads/2019/12/Identification-des-modes-d’endommagement-en-matage-.jpg)
L’un des enjeux concerne la prise en compte du serrage car son apport est primordial dans les assemblages travaillant en cisaillement. L’environnement haute température impose des technologies d’assemblage particulières (compensation thermique des dilatations différentielles …) mais ne garantissant pas pour autant un serrage constant [Van15].
![Fig. 2.II.17 - Assemblage Single-Lap Joint(SLJ) SiC/SiC 3D tissé avec bague de compensation thermique du serrage [Van15]](https://gdr-cmc2.cnrs.fr/wp-content/uploads/2019/12/Assemblage-Single-Lap-JointSLJ-SiCSiC-3D-.jpg)
La faible tenue hors plan pour les CMC 2D impose aussi la prédiction des niveaux de serrage et leur influence avec un point particulier sur la modélisation du desserrage dû à la fatigue thermomécanique.
La modélisation 3D (figure 2.II.18) prenant en compte les modèles de comportement décrits dans les paragraphes précédents (II-3) est déclinée à l’échelle locale mais aussi envisagée à l’échelle de la structure sous forme de modèles équivalents (modélisation coque axisymétrique, poutre axisymétrique, …). Il est aussi possible d’avoir recours à des méta modèles [Par17] permettant de valider les développements et l’identification des lois de comportement par corrélation essais-calculs en ce qui concerne les modèles 3D, mais aussi de valider la simplification des lois de comportement pour une application industrielle à partir des modèles équivalents [Par17, Par18]. Enfin, les modélisations simplifiées (1D, axisymétrique semi analytique) pour développement d’outils de prévision de l’assemblage (accostage, positionnement,…) et du comportement de pièce structurales permettent de viser un prédimensionnement optimal [Par17].

La robustesse des modèles doit permettre de développer des méthodes et outils pour :
- la validation des critères de rupture
- l’optimisation des assemblages multi-matériaux
- la définition des technologies de serrage et leur robustesse dans le temps
- l’aide l’intégration en abordant l’aspect tolérancement
- la prise en compte de la tolérance au dommage accidentel de type impact, choc |Lac14,AlR17]